"Comment je suis redevenu chrétien" par J-C Guillebaud (Albin Michel)

Publié le par GoutteCeleste

Interview de Jean-Claude Guillebaud tiré de « Pelerin.info » du vendredi 9 mars 2007.

Le titre de votre livre, Comment je suis redevenu chrétien, suggère que vous avez été chrétien, puis cessé de l'être. Comment s'est opéré ce « reflux » ?
Oh ! le plus banalement du monde. Tout en étant de tradition catholique, ma famille n'était pas très pratiquante, hormis ma mère. Comme beaucoup de jeunes de ma génération [Ndlr. Jean-Claude Guillebaud est né en 1944, à Alger], j'ai fait ma communion, puis j'ai cessé toute pratique religieuse. J'ai vécu cela sans drame. Je n'avais pas de compte à régler avec l'Eglise catholique.

Ce qui frappe, dans votre retour vers la foi, c'est que, contrairement à d'autres, il ne répond à aucune nostalgie, aucune épreuve personnelle, aucun désarroi existentiel...
C'est vrai ! Ma démarche n'a rien de sentimental. Après avoir été longtemps grand reporter, présent sur bien des lieux de conflit à travers le monde, je suis devenu éditeur, au début des années 1980, puis essayiste. Conscient d'assister à un véritable basculement de civilisation, je me suis alors interrogé sur ses causes, mais également sur les fondations à préserver pour éviter une certaine forme de déclin. De livre en livre, j'ai été surpris de redécouvrir comme une évidence la pertinence du message évangélique, mais de manière rationnelle, quasiment anthropologique.

Et cela alors même que l'idéologie dominante était plutôt à la dérision, à la contestation de l'héritage chrétien.
L'inculture contemporaine sur ces questions est abyssale. Moi-même, je ne soupçonnais pas, au moment où j'ai engagé ce travail, à quel point nous restions, même au coeur de notre laïcité française, les héritiers d'une tradition judéo-chrétienne. Je me souviens m'être interrogé, alors que mes filles approchaient de l'adolescence, sur la manière dont je pourrais répondre à leurs questions sur la sexualité. J'ai décidé de mener l'enquête, en toute objectivité. Ce fut la matière de mon livre La tyrannie du plaisir (paru en 1998). J'ai découvert à quel point la Grèce antique, par exemple, avait pu être pudibonde et l'Eglise, historiquement, plutôt tolérante. En fait, le moralisme dont j'avais souffert, dans ma jeunesse, était moins lié au christianisme lui-même qu'à l'esprit petit bourgeois du XIXe siècle, véhiculé, c'est vrai, par une hiérarchie catholique majoritairement issue de ses rangs.

Au départ de votre retour vers la foi, il y a donc ce constat que les « valeurs » qui font consensus dans notre société viennent du christianisme.
Oui, alors même que les Français progressistes sont persuadés qu'elles ont été arrachées à l'obscurantisme judéo-chrétien ou à l'autoritarisme clérical. Prenez l'individualisme, l'idée de primauté de la personne sur le groupe, c'est une idée que l'on ne trouve ni chez les Grecs ni dans l'islam ; il en est de même de l'aspiration égalitaire magnifiée par saint Paul dans l'épitre aux Galates : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme libre ; il n'y a plus l'homme et la femme ; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus-Christ. » On peut faire le même constat sur les notions d'universalité, de progrès et, bien sûr, d'espérance, qui substitue l'idée de « sens de l'Histoire » à celle de la tradition grecque ou orientale du temps circulaire, de l'éternel retour.

Est-ce à dire que les catholiques doivent chercher à récupérer ce patrimoine ?
Surtout pas ! D'une certaine manière, le christianisme triomphe et meurt, pour une part, d'avoir ainsi enfanté la modernité. L'urgence est moins de rechristianiser ces valeurs communes que de prendre collectivement conscience de leur origine, de la manière dont, historiquement, elles l'ont emporté sur d'autres conceptions du monde pour mieux identifier les dangers qui aujourd'hui les menacent. Car l'époque porte en elle la tentation de se résigner aux inégalités, de ne plus croire ni au progrès ni à la démocratie... Je garde en mémoire cette réflexion du philosophe René Girard : « C'est ce qui reste de chrétien en elles qui empêche les sociétés modernes d'exploser. »

Mais le christianisme se réduit-il à des valeurs, fussent-elles humanistes ?
Non, bien évidemment ! La seconde étape de mon cheminement personnel a été, précisément, de redécouvrir à quel point l'Evangile était de la nytroglycérine trop longtemps enrobé de sucre. Le christianisme n'est pas une religion parmi d'autres. Il y a un avant et un après dans l'histoire de l'humanité. Nietzsche l'avait bien compris. La subversion biblique, c'est la défense du faible, de la victime à laquelle Dieu s'est identifié, là où les civilisations antiques magnifiaient la force. C'est ce retour de la barbarie qui nous menace. Aujourd'hui, le problème du christianisme est donc moins un problème de contenu, de pertinence, que de langage. Nous continuons de psalmodier pieusement des choses qui sont devenues lettres mortes. Or, on peut passionner les gens si on parle leur langage.

Vous voilà qui dites « nous », vous avez donc plongé. Vous revoilà chrétien !
Il y a un moment où la question s'impose : l'Evangile est d'une telle force qu'il ne peut être une simple production humaine. Il faut franchir le pas, oser se dire croyant. Alors, tout s'enchaîne avec une facilité déconcertante. On redécouvre que le génie du christianisme (il a tout de même « enterré », sur une période récente, le marxisme, la psychanalyse, le structuralisme et la prétendue modernité) est d'avoir pu s'appuyer sur une institution, l'Eglise, certes imparfaite mais que les saints, tout au long de l'Histoire, ont su préserver en la critiquant plus radicalement qu'aucun athée ne le fera jamais. On redécouvre que l'on n'est pas croyant tout seul, mais que la foi est relation à Dieu et aux autres ; que l'amour n'est pas conclusif mais inaugural. Ce n'est pas parce que je connais quelqu'un que je l'aime ; c'est parce que je l'aime qu'au travers de cet amour je peux enfin le connaître vraiment. Il y a là un vrai trésor de la foi que les croyants doivent redécouvrir pour eux et faire partager aux autres qui, sans doute, n'attendent que cela.

Propos recueillis par René Poujol

Publié dans Ce qu'ils en pensent

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C'est vrai que le christianisme peut être une solution face au déclin du monde, mais je trouve qu'il prône plutôt une philosophie ou une idéologie chrétienne plutôt qu'une relation personnelle avec Dieu, ce n'est pas l'action d'une utopie qui peut sauver le monde mais la puissance de Jesus qu'on laisse se manifester à travers nos vies.
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